DES SECRETS BIEN GARDÉS
L’Hermitière - 2
Les propriétaires ou locataires cafetiers établis en périmètre:
Impossible de vendre quoique ce soit en forêt domaniale sans passer par la case “concession sur domaine public” avec redevance annuelle. Aussi certains d’entre eux détournèrent la chose en achetant les terrains en périmètre des sources pour y établir leur commerce.
Lorsque ceux-ci ne pouvaient plus en assurer le service, ils y plaçaient un locataire.
Café Mary-Lecomte : 1905 (ou Maris-Lecomte) (propriétaire).
La famille Maris-Lecomte créa la cave enterrée dans la butte, en lisière de forêt à l’Hermitière vers 1900. Le Café Maris-Lecomte est le plus anciennement photographié.

Dessin d’Albert Simier
Vers 1909, la maison forestière des Étangs est désaffectée par l’administration et louée à l’adjudicataire de la chasse qui y place son garde. Cela tombe à pic pour Albert Simier (27 ans en 1914) jeune garde particulier dont la belle famille habite auprès. Ils sont en effet propriétaires des terres de la Coutière et de la Hugerie.
Son épouse est une femme Maris (Juliette Eugénie Maris : 24 ans en 1914).

à Gauche : Juliette
Il vendra en 1937 cette propriété à Thévenot.
Café Binet : 1907 (locataire)
La famille Binet loue cette année l’emplacement à la famille Maris-Lecomte.

Chez Binet
Une carte postale portant le cachet restaurant Binet datée du 15 septembre 1907 dit :
Dimanche 8 h30 du matin, parti de Montreuil ce matin, je suis de ce moment en forêt de Bercé à cet endroit et de la table je vous envoie ces lignes. Affectueux baisers, votre fils ; c’est splendide !!! Signé : Gaston

Location du terrain Maris au dessus des sources

Chez Binet le 28 avril 1915
Plus tard cette concession (Maris-Lecomte) – café - parquet de danse, s’établit dans le coin du champ au dessus des sources, ceci afin d’échapper pour un temps aux affres des adjudications forestières et droits de place dûs à l’administration. Un petit bâtiment en briques de Pruillé surmonté de tuiles rouges est monté, il servira de cave et d’entrepôt. Après Binet, cette concession sera reprise par Douay, Bignon puis Thévenot.

Chez Binet

Établissement Binet
Café Douay : 1927 (locataire et concessionnaire)
Les Douay remplacent Lempereur le 03 mars1927 (concessionnaire d’un emplacement en forêt) tout en restant locataires de la famille Mary-Lecomte.
Témoignage en juillet 1997 d’Alice Georgette Tebbiche (née Douay)
Charles Douay né en 1891 et Alice Schmeisser née en 1897 arrivent dans une concession
qu'ils connaissent bien puisqu’ils habitent eux-mêmes à Saint -Vincent du Lorouër.
Charles, originaire de Jupilles a épousé A1ice, née aux petites Rottières sur Saint–Vincent.
De leur union naissent : Denise (1914) Alice (8 mai 1916) Robert (1918) tous
trois aux petites Rottières puis Gisèle et Claude (qui décéda plus jeune).
Les Douay logaient au départ dans une petite ferme du côté des taillis Raguideau,
sur la route de Pruillé. Malgré l’aide apportée par les grands-parents à la
tenue de cette ferme (l’achat d’une vache), Charles ne se sent nullement
attiré par le métier d’agriculteur.
Coiffeur de formation a l'armée, il vient après guerre s’établir
dans le bourg, dans une maison qui sera plus tard : l’ancienne Poste.
Alice s’en souvient, «il y avait un parquet dans la cour, il fallait
monter des marches et cela donnait presque sur la route de Pruillé».
Là, Charles et son épouse, organisent les premiers bals aux accents
d’un limonaire, que Maurice Vaillant faisait fonctionner.
Mais chez les Douay on peut aussi se faire raser, car Charles a
repris son activité de coiffeur tout en restant génial bricoleur.
On peut aussi y apportez sa bicyclette en réparation; bref, une
vie bien remplie pour cette famille Douay et son
"Café - Coiffeur - Mécanicien».
Le ménage n’est pas bien riche et bénéficie en mars 1924 de
l’assistance aux femmes en couche et de l’aide aux familles nombreuses.
En 1926, à l’expiration du bail, la famille déménage (elle vient d’être
expulsée de ce qui deviendra la poste au 1er avril 1926 et par voie de justice,
relogés ailleurs)…
Ailleurs, c’est quelques maisons plus loin, face à la salle des fêtes.
Là, Charles installe un grand parquet et organise noces et banquets,
la cuisine est assurée par Mr. Coulon de Saint Pierre du Lorouër.
C’est en 1927 qu’entre en scène la petite Alice. Elle vient d’avoir
onze ans et son Papa vient, le 03 mars, d’acquérir la concession de
l’Hermitière dont la mise à prix était de 100fr (attenant au terrain
qu’il loue déjà à la famille Maris-Lecomte).

Les Douay dans le terrain des Maris-Lecomte
de gauche à droite sur la photo : Mr. Rouvre (du Grand–Lucé).
Charles Douay - Mr. X xxx (du Grand–Lucé). Maurice Douay (l’Oncle)
Mr. Nourry (Serveur, Bois-Neuf à St. Vincent). Mme Bellande
(Serveuse à St Vincent) – Mme Alice Douay - Alice (sa fille)
et Thérèse Bignon (l’amie d' Alice) et trois cyclistes de passage.
Manque sur la photo, Roger Vaillant
(Serveur habitant la Maison Bleue à St Vincent).
Durant deux saisons elle participe activement au développement de l’affaire familiale. Installée à son banc sous l’abri de tôles, elle y vend quantité d’objets, tels que : des cartes postales, des turlututus, des Chapeaux en papier ou des tourniquets, mais elle a surtout la responsabilité de faire fonctionner le phonographe afin que d’éventuels danseurs s’exhibent sur la piste.
Les jours de fête, y vient un orchestre et c’est Roger Vaillant (qui habitait la maison bleue à Saint-Vincent) qui tamponne les danseurs à l’entrée. Les autres jours la danse est gratuite. En bout de banc, à côté du phono, il y a le stand de tir, tenu par Maurice Douay, l’oncle de la petite Alice.

La famille Douay dans le terrain Maris direction St Vincent
Ces deux années, avec des voitures et des tables partout installées en sous-bois, des gens par milliers, de la bonne humeur à revendre, furent pour Alice …….. un Pays des Merveilles…… qui lui parurent durer toute une existence.
Hélas toutes bonnes choses ont une fin, et recalée au certificat d’études, elle se doit d’apprendre un métier.
Elle a alors 12 ans ½. et part en ferme à Saint-Vincent, chez les Dupin, puis comme petite bonne à tout faire chez le couple Saillant à Brette les Pins (elle est Institutrice et lui, travaille aux Mutuelles) ; la maman des Saillant, Mme Besnard, habite à Saint-Vincent.
Puis Alice travaille en boulangerie puis dans une maison bourgeoise avant d’effectuer vingt trois autres emplois. C’est que chez les Douay, il ne pouvait y avoir du travail pour tous les enfants. Si l’ Hermitière marchait dur à la belle saison, il fallait aussi nourrir tout ce petit monde là le reste de l’année, en morte saison.

L’âne Charlot et son cavalier arrivant de St Vincent
Madame Alice Douay (mère) multipliait en saison et en semaine,
les allées et venues à l’Hermitière pour y ouvrir sa guinguette,
et ceci en vélo par un chemin plus que chaotique.
Le matériel était rentré tous les soirs dans la cave encore
visible de nos jours et Charles Douay veillait personnellement
à ce qu’avant de partir, les derniers papiers gras soient
ramassés. Il ne tolérait aucun détritus… …
et les Forestiers … non plus.
Plus tard, à la suite d’une faillite due à l’indélicatesse d’un créancier, la famille Douay s’expatrie de Saint-Vincent après le mariage de Denise, en 1933. Là Charles entreprend un apprentissage de cordonnerie qui le mènera successivement à Nantes puis à Angers où il finira comme Directeur de l’atelier de ressemelage «Trouvé». Faisant état, à qui voulait bien l’entendre, de ses positions politiques marquées à gauche, il reçut, un jour de l’année 1938, alors qu’il était en visite à Saint–Vincent, un mauvais coup à l’estomac, porté sournoisement lors d’une embuscade par un anti–Socialiste primaire dont on ne sut jamais le nom.
Ce coup durement asséné, affecta longtemps sa santé et son moral. Réquisitionné par les Allemands pour réparer les bottes (à semelles cloutées) Charles Douay n’accepta jamais le fait d’avoir été traité de collaborateur, par certains qui avaient sûrement tout à lui envier de sa droiture et de son rôle social.
Il décédera après des années de souffrances du coup qu’il avait reçu à Saint-Vincent
(Témoignage reçu en juillet 1997 d’Alice Georgette Tebbiche née Douay)

Alice - juillet 1997
Toute histoire, si triste soit–elle, a une fin……… Cinq mois après notre entrevue, Alice , consciente du devoir accompli se laissa elle aussi dépérir.
Elle décédera le 10 janvier 1998 à l’âge de 81 ans.
Lucien Thévenot : 1937 (propriétaire).
Ayant déjà une affaire sur Saint-Vincent, il reprend en forêt, le flambeau en achetant l’emplacement à la famille Mary Lecomte. Il développe ainsi la guinguette et la restauration.

Son terrain et la concession en forêt
Mais pendant la guerre, le bal se fait un peu oublier renaissant peu après. Eugène Lasnier, garde domanial aux Étangs relate :
Monsieur l’inspecteur, suite à la chute d’un arbre sur la concession de Mr Thévenot, et afin de remplacer les piquets brisés, a désigné le 22 Juillet, des arbres à l’abatage. Les perches seront délivrées le 23 à Mr Thévenot.
Thévenot est l’un des artisans de la popularité des sources de l’Hermitière. Son mauvais caractère fait de lui le maître des lieux.
Témoignage de Claudette & Adrien BORDERON : *Les Allemands sont partis de Bercé au mois d’août 1944. La première fête qu’il y a eu, c’était au bal le 15 Août à l’Hermitière et nous y avons rencontré la 1ère colonne américaine qui faisait un bruit inimaginable. Mon gamin avait 4 ans, il avait tellement mal aux oreilles que mon mari l’a ramené à travers champs à la maison. La gamine, les Américains cela lui plaisait bien, ils donnaient du chocolat. Ils disaient toujours ça : “c’est tous des Noirs, c’est tous des Noirs, ben, il y avait des noirs, mais ils étaient tous noirs….. de fumée, de poussière, de chaleur. »

Le parquet de danse à Thévenot
Son franc parler le caractérise, tel ce jour des années 1950, où le directeur général des Eaux et Forêts, M. Merveilleux du Vigneau venait en inspection générale à Bercé. M. l’ingénieur de Moustier, demanda à Thévenot s’il pouvait mettre à disposition un fauteuil au Directeur plutôt que le traditionnel banc de bois.
Celui-ci de répondre sur le champ :
Quoi donc, il a pas un cul comme tout le monde, celui-là ?
Le dimanche, il y avait bal chez Thévenot. Cela attirait la foule et bon nombre de marchands sollicitaient le service forestier, afin de faire ce jour quelques affaires à l’Hermitière.
Tel est le cas, ce dimanche, d’une vendeuse de glaces de Château-du-Loir. Se faisant houspiller par Thévenot, elle se rendit chez le brigadier qui arrangea l’affaire en disant à ce dernier : … que les gens qui mangeaient de la glace, avaient, l’instant d’après, le plus souvent soif …
Quand au vendeur de nounours lui, il était toujours bien vu, car c’était l’un des meilleurs clients de Thévenot. Ne disait-on pas d’ailleurs à l’époque que : « Le premier client, était le patron » ?
Le 15 août, il y avait tellement de monde que les forestiers venaient, sur ordre et en tenue, toute la journée, faire la circulation. Un sens giratoire (tel qu’il est actuellement) y était mis en place. Bref, l’endroit était sympathique, gai et le vin … bon !

L’entrée de cave et le bar

vue vers les sources
Thévenot achève la construction du bal de l’Hermitière et élimine progressivement les cabanes de planches et de tôles (nos paillotes à nous !) pour construire l’actuelle auberge, en douce, mine de rien, sans autorisation, ni permis. Le bâtiment est construit avec des matériaux de récupération (tels les rails de l’ancien tacot). Le bal s’estompe peu à peu à la fin des années 60.
Témoignage de Daniel Allaire *abatage pour le bûcheron, abattage pour le boucher !
1966 Les forêts domaniales s’ouvrent au Public.
Les anciennes Eaux et Forêts ont laissé la place à l’Office National des Forêts.
Daniel Allaire de 1968 à 1976 (propriétaire).
Lors de sa cessation d’activité, c’est Daniel Allaire et son épouse, qui le 15 Avril 1968, entrent dans les murs. À cette époque, le bal et deux bars (l’un près du parquet, l’autre dans l’établissement) fournissent les activités principales de l’Hermitière. Daniel creuse l’étang.

Daniel Allaire et les forestiers de Bercé Est
La famille Allaire décide d’arrêter le bal en 1970 et ouvre le restaurant, suite à la demande pressante de la clientèle. Tout l’été, à la place, en bordure de forêt, un manège tournait aux accents de « l’Aventura » de « Stone et Charden ».

Exploitants forestiers Sarthois à L’Hermitière
Ils regrettent aujourd’hui, cette décision : « C’était l’ bon temps … »
Un chalet est construit pour y loger le personnel ; un personnel dévoué qui a travaillé dur au restaurant : Louisette, Muguette Guillier, Jacqueline Cholet, Christiane Orlandini, madame Combemorel (Reine, pour les intimes) et Ginette Lemoine ;
Gaston Herpin venait, quant à lui, faire la ronde de surveillance autour de l’étang. C’est la famille Mancelier qui fait entrer le poirier dans la grande salle (Jean-Yves et Michel).
La décoration intérieure était l’œuvre de Daniel Allaire lui-même, (bar et chaises en bois).

L’Hermitière en 1970
Mais en 1975, le jour de la fête des mères, le chef cuisinier Claude Lemarchand, se tue au volant de sa voiture dans un virage sur la route des Ventes.
Ce deuil affecta la famille Allaire, et fut l’annonce de la cessation d’activité en 1976. Les Allaire prennent leur retraite sur la Côte d’Azur, mais fuient bien vite cet endroit pour retrouver leur fils dans l’est de la France où ils resteront jusqu’en 1995. Le mal du pays les empoigne qui les fait revenir successivement à Chahaignes, puis enfin à Marçon, où ils finiront leur vie.
Guy Podevin en 1976 (propriétaire).

La pancarte de l’Hermitière, objet d’une concession
De Neufchâtel-en-Saosnois où il est né à Saint-Vincent-du Lorouër où il s’établit définitivement ; de l’Angleterre où il fait ses classes chez les frères Roux considérés comme les Ducasse des années 70, dans le village de Bray près de Windsor… à l’Hermitière où il reçoit en juin 1984 la reine mère d’Angleterre ; de la savane (Cameroun et Zaïre) où il apprend le management dans des hôtels internationaux, à la futaie ordonnée de Bercé …;
mais qui pousse donc Guy Podevin à s’implanter dans notre doux pays ? « Le hasard » dit-il …

l’Hermitière-vue de la terrasse
1984, la visite de la reine mère n’escamote pas pour autant celles, plus discrètes, de personnages tout aussi hauts en couleurs : Jean-Pierre Marielle, naturel comme à l’écran, Jean Carmet, sortant du film Eugénie Grandet et la Mancelle Béatrice Dalle.
À l’auberge, fort nombreuses sont les personnalités qui viennent incognito chercher fraîcheur, délices et nature.
1985-1986, une gérance malheureuse oblige la famille Podevin à reprendre de plus belle cette vie plus que stressante. 1994, un nouveau défi pour le restaurateur dont c’est le 2e mandat : administrer le village de St-Vincent-du-Lorouër. Assurer la formation est aussi le défi quotidien que doit relever notre Chef. On retrouve en Sarthe et plus particulière ment en bordure du Loir, à Vaas, Luché-Pringé les jeunes cuisiniers de l’Hermitière.

La terrasse
Guy espère ainsi maintenir dans la contrée l’esprit de tradition. L’auberge est référencée dans les guides : Champérard, Le Routard, Hôtels et Restos de France, Le Petit Futé, Le Bottin gourmand, Gault et Millau, le Guide du Routard Pays de la Loire, … et adhère à : La Confrérie de la Chaîne des Rôtisseurs, Les Bonnes Tables Sarthoises, Les Bonnes Étapes en Vallée du Loir dont Guy Podevin en est le créateur, en 1984. C’est aussi l’initiateur de la fameuse marguerite, l’emblème connu et reconnu de l’A D V L.
1987 - 2000, l’auberge n’ouvre qu’en saison, de Pâques à Toussaint.
2006, la recette infaillible de l’auberge ce sont des plats simples, savoureux … naturels pour un plaisir partagé entre traditions séculaires et inspiration moderne.

Le couple Podevin
Après avoir ouvert des chambres d’hôtes, l’auberge fermera définitivement ses portes et ses accès routiers, car la propriété est vendue à des particuliers. Le droit de passage est supprimé, désorganisant cette entrée si prisée en forêt.

La grande salle et le fameux poirrier
Autres articles sur l’Hermitière :
L’Hermitière - concessions (suite)
Bibliographie :
Revue Au Fil du Temps N° 29 de 09 – 2005 - Pages 7 à 9 (Y. Gouchet)